Balades en expertise comptable :
Les enjeux posés par les travailleurs de plateformes (Uber, Deliveroo, etc.)

Actu Droit janvier 2022

Les enjeux posés par les travailleurs de plateformes (Uber, Deliveroo, etc.)… décryptés par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod

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Les travailleurs de plateformes (Uber, Deliveroo…)

Qu’est-ce qu’une plateforme ?

Selon Francis Nappez, cofondateur de BlaBlaCar, une plateforme a pour objet d’« attirer, de faire se rencontrer et de relier les gens ou les entreprises, pour leur permettre d’effectuer des transactions ».

Exemples

Des marketplaces comme Amazon, des réseaux sociaux comme Snapchat ou des systèmes d’exploitation comme Android sont des plateformes.
La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a défini la notion d’opérateur de plateforme. Il s’agit d’une personne proposant, à titre professionnel, un service de communication au public en ligne. La loi ajoute que ce service repose à la fois sur :

  • le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
  • la mise en relation de plusieurs personnes en vue de la réalisation d’une transaction (ex. : partage d’un contenu ou vente d’un bien).

Devenir conducteur en utilisant les services d’une plateforme de mise en relation

La démarche est très simple et se réalise en quelques clics. Il convient :

  • de télécharger l’application ;
  • de créer un compte à partir de son adresse mail ;
  • d’ajouter le numéro de son téléphone portable.

Une fois l’application installée, il suffit de quelques opérations pour proposer un trajet. D’un point de vue économique, la plateforme permet à de nouveaux acteurs de pénétrer le marché. Elle met en concurrence tout le monde avec tout le monde.

Travailleurs de plateformes et statut de salarié

Il faut s’interroger sur un tel statut. Selon la doctrine, le contrat de travail suppose la réunion de trois éléments : des prestations de travail, une rémunération et un lien de subordination juridique.
Le salarié doit fournir des prestations de travail. En contrepartie, il reçoit une rémunération.
Dans le cas d’une plateforme de conduite d’une voiture de transport avec chauffeur, chaque course effectuée sera rétribuée. Mais le montant de la course n’est pas maîtrisé. Celui-ci sera fixé par les algorithmes de la plateforme qui imposeront un itinéraire particulier que le travailleur ne contrôlera pas.
Dans le célèbre arrêt Uber de 2020, la Cour de cassation avait relevé qu’un ajustement de tarif était possible quand le chauffeur choisissait un « trajet inefficace ».
Le lien de subordination juridique est l’élément décisif. Ce critère a été défini par la Cour de cassation, notamment dans son célèbre arrêt Société Générale de 1996. La Haute Juridiction a posé que le lien de subordination se caractérisait par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur » et elle en a déduit que l’employeur pouvait :

  • donner des ordres ;
  • en contrôler l’exécution ;
  • et en sanctionner les manquements.

Le contrat conclu avec une plateforme comportera des éléments qui permettront de vérifier l’existence d’une véritable subordination juridique. Il apparaît raisonnable de penser que les plateformes vont surveiller les travailleurs, ne serait-ce que pour des questions de sécurité des personnes ayant recours à leurs services. La surveillance entraînera nécessairement la sanction du travailleur ne respectant pas les règles posées par le contrat le liant à la plateforme.

La position des juges quant à la qualification en contrat de travail

Si la Cour de cassation est ferme dans sa position de gardienne de l’orthodoxie du droit du travail, il n’en est pas moins vrai qu’un courant de résistance se développe. La cour d’appel de Paris a, dans un arrêt du 7 avril 2021 (livreur Deliveroo), constaté que les éléments constitutifs du contrat de travail n’étaient pas réunis.
La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt rendu le 15 janvier 2021 sur jugement du conseil de prud’hommes de la même ville, en a fait de même à propos d’un chauffeur Uber.

La position du législateur

Le législateur n’est pas muet mais il est gêné. Il est intervenu au moins deux fois :

  • Tout d’abord par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Ce texte a mis à la charge de certaines plateformes une responsabilité sociale.
  • Puis par la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilité, dite LOM, qui reposait sur un « deal » consistant à instaurer une présomption de non-salariat au profit des chauffeurs de véhicules de tourisme et des coursiers utilisant des véhicules de deux ou trois roues contre des engagements sociaux au profit de ces travailleurs (ex. : « prix décent », développement des compétences, prévention des risques professionnels). Comme l’a souligné le professeur G. Loiseau, toutes ces dispositions relevaient de l’ADN du droit du travail. Ces engagements devaient être contenus dans une charte arrêtée par les opérateurs de plateformes. Le Conseil constitutionnel a retoqué cette disposition, considérant qu’il n’appartenait pas au législateur de déléguer aux plateformes des compétences qui lui sont attribuées par la Constitution, particulièrement par son article 34 qui pose que la loi fixe les règles relatives au droit du travail. Les autres dispositions applicables aux chauffeurs et coursiers n’ont néanmoins pas été condamnées par les sages du Conseil constitutionnel ; elles figurent dans le Code du travail et dans le Code des transports.

Les dispositions du Code des transports

On peut en distinguer de deux ordres :

  • Les premières permettent d’assurer aux travailleurs une certaine maîtrise de leur temps de travail.

Exemple

Dans notre illustration, Amin pourrait choisir ses périodes d’activité et d’inactivité. Il aurait aussi la possibilité de refuser une prestation sans faire l’objet de sanctions.

  • Les secondes permettent de garantir la transparence des conditions de réalisation des prestations. Un décret du 22 avril 2021 prévoit la liste des sept indicateurs que les plateformes doivent afficher.

Exemple (suite)

Amin pourrait connaître la durée moyenne d’une prestation ou le revenu moyen d’activité par prestation.

Les autres dispositions du Code du travail

Elles concernent l’accès à la formation professionnelle continue, l’abondement sous condition du compte personnel de formation (CPF) ainsi que la prise en charge, sous condition, de la cotisation versée par le travailleur souscrivant une assurance couvrant le risque d’accident du travail. Figurent également au Code du travail les dispositions relatives à la charte engageant les plateformes.

Les dispositions en matière de relations collectives

Le législateur a habilité le gouvernement à déterminer, par ordonnance, les modalités de représentation des travailleurs de plateformes. Une ordonnance n° 2021-487 du 21 avril 2021 a prévu d’organiser le dialogue social (en clair, la négociation collective) aux niveaux des secteurs d’activité, des plateformes et en termes de règles relatives aux représentants des plateformes.
Les travailleurs des plateformes de mobilité pourront désigner des représentants de la même façon que les salariés désignent les membres du comité social et économique (CSE). On constate encore une fois qu’il est difficile pour le législateur de se défaire de l’optique du droit du travail.

Pour aller plus loin