Balades en expertise comptable :
Discrimination au travail

Révision Droit août 2022

Discrimination au travail... Décryptés par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod.

#OIT #DroitduTravail #Discrimination

Discrimination au travail

D’après l’enquête menée avec l’Organisation internationale du travail (OIT) auprès d’un échantillon représentatif de la population de jeunes actifs de 18 à 34 ans (3 201 personnes), plus d’un jeune sur trois rapporte avoir vécu une situation de discrimination ou de harcèlement discriminatoire dans le cadre de sa recherche d’emploi ou de sa carrière et près d’un jeune sur cinq déclare y avoir été confronté à plusieurs reprises.

La discrimination est un processus complexe

Les discriminations résultent d’un ensemble de processus complexes, impliquant des représentations sociales (préjugés, stéréotypes, normes stigmatisantes) ; des rapports de domination et des interactions spécifiques au domaine de l’emploi et des inégalités collectives, durables et cumulatives, qui structurent les différentes sphères de la vie sociale.

Les textes

Article 14 CEDH

Interdiction de discrimination

La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation

LOI n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations

Article 1 Modifié par LOI n°2017-256 du 28 février 2017 - art. 70

Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d’autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

La discrimination inclut :

1° Tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ;

2° Le fait d’enjoindre à quiconque d’adopter un comportement prohibé par l’article 2.

Définition en droit du travail ?

La discrimination au travail désigne le fait de traiter une ou plusieurs personnes différemment des autres par rapport à un ensemble de critères énuméré dans les textes de loi.

L’article L.1132-1 du Code du travail précise que :

« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise. [...] Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat. »

Les critères de discrimination ?

Ils sont nombreux, l’article L 1132-1 (Version en vigueur à partir du 01 septembre 2022) les énumère : 

 « origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte, au sens, respectivement, du I de l’article 6 et des 1° et 2° de l’article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

Certains critères de discrimination posent des grandes difficultés d’interprétation. Par exemple que signifie la notion de « particulière » vulnérabilité ? En effet, est-ce seulement une question de ressources financières de la personne ou est-ce que cela renvoie à une notion de précarité sociale dans laquelle pourraient rentrer en ligne de compte l’âge, la maladie, l’origine.

Ces critères vont intervenir à différentes étapes de la relation de travail 

La discrimination au travail peut intervenir à différentes étapes de l’évolution du salarié, lors :

  • de l’embauche ;
  • d’un licenciement ;
  • d’un renouvellement de contrat ;
  • d’une mutation ou d’une promotion à un autre poste en interne ;
  • de la détermination du salaire et autres modes de rémunération ;
  • d’une formation ;
  • d’un reclassement, etc.

Les discriminations au travail : Quelques données 

L’étude de 2021 du baromètre de perception des discriminations dans l’emploi consacrée à la jeunesse nous éclaire.

Les discriminations vécues par les personnes âgées de 18 à 34 ans se traduisent souvent par une rupture du contrat de travail, que ce soit à l’initiative de l’employeur ou de la personne victime : 20 % d’entre elles ont décidé de démissionner ou de négocier une rupture conventionnelle et 15 % ont été licenciées ou ont vu leur contrat non renouvelé à la suite des faits.

 Les conditions ou relations de travail peuvent également se dégrader : un jeune sur cinq déclare ainsi avoir subi des conséquences négatives sur son emploi au quotidien à la suite d’une discrimination ou d’un harcèlement.

Certains subissent également des sanctions ou mesures de représailles suite à la dénonciation de tels faits : 8 % des personnes se déclarant victimes de discrimination ont reçu un avertissement et 7 % d’entre elles ont été mutées contre leur gré.

Le critère principal de discrimination, dans la pratique.

En entreprise, l’âge demeure le premier critère de discrimination, estiment les salariés. C’est ce qui ressort des résultats du dixième baromètre de la perception de l’égalité des chances du Medef et de l’Association française des managers de la diversité (AFMD) dévoilé le 11 octobre 2021. Au total, sur 1 500 salariés interrogés dans le cadre de cette enquête, 40 % citaient l’âge comme première source discriminante bien avant l’apparence physique (26 %), le sexe (24 %), le diplôme (21 %), l’origine sociale (13 %) ou la couleur de peau (12 %)

L’article L. 1132-1 différencie les mesures discriminatoires directes et indirectes, et par ricochet.

Dans le cas de la discrimination directe, la ou le salarié (e) reçoit un traitement moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. Sur le fondement de l’un des motifs précités : âge, sexe….

Constitue une discrimination indirecte, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. La situation est moins visible. Une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, est susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs de discrimination déjà mentionné, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes.

Par exemple, si un droit accordé uniquement aux salariés à temps plein, les femmes, ayant statistiquement davantage recours au travail à temps partiel, seront discriminées.

La discrimination par ricochet est une interdiction fondée sur un critère dont bénéficient les personnes ainsi que celles qui, leur étant liées, subissent des décisions défavorables.

 Par exemple la mère d’un enfant handicapé, traitée de manière défavorable par rapport à ses collègues, mères d’enfants non handicapés.

Une différence de traitement est parfois justifiée.

Une différence de traitement ne se traduit pas toujours par une discrimination.

Cette différence de traitement peut faire l’objet d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Cette pratique doit objectivement être justifiée par un but légitime et les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés

Ainsi le Code du travail précise que les différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d’assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d’emploi, et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés.

Ou encore les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées. Par exemple l’employeur peut écarter certaines personnes de tâches du fait de leur inaptitude médicalement constatée.

La notion de discrimination positive ?

Cette qualification va désigner les mesures prises par un employeur qui l réserve un traitement favorable à des personnes désavantagées, par nature, aux autres, par exemple vis-à-vis des personnes en situation de handicap.

Certains métiers (mannequin, acteur) peuvent dédier des postes par exemple à un homme ou à une femme sans qu’il y ait discrimination 

Les sanctions encourus par l’employeur en cas de discrimination ?

L’employeur encoure des sanctions civiles et pénales.

L’employeur s’expose à une sanction pénale allant jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Les sanctions civiles sont la nullité de l’acte discriminatoire et la réparation du préjudice subi par le salarié par le versement de dommages -intérêts. L ’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

Si le salarié est l’auteur de la discrimination, l’employeur pourra appliquer une sanction disciplinaire proportionnée à l’acte, un blâme, voire un licenciement selon la gravité de la faute commise.

Les recours possibles ?

Dans tous les cas, il convient de signaler les faits au comité social et économique (CSE).

Un recours judiciaire peut être exercé devant le Conseil des prud’hommes par la victime.

Les associations bénéficient du droit d’agir au lieu et place de la victime. L’article L. 1134-3 du Code du travail précise que les associations titulaires de ce droit sont les associations régulièrement constituées depuis cinq ans au moins et agissant dans le domaine de la lutte contre les discriminations ou dans celui du handicap.

Par ailleurs, le Code du travail (art. L. 1134-2 et L. 1144) permet aux organisations syndicales représentatives au niveau national, départemental, de la collectivité d’outre-mer ou dans l’entreprise, d’exercer en justice les actions relatives aux discriminations au travail.

Le défenseur des droits peut être saisi par une personne victime de discrimination, directement ou par l’intermédiaire d’un député, d’un sénateur ou d’un représentant français au Parlement européen. Il peut aussi être saisi conjointement par la victime et par une association. Le défenseur des droits peut se saisir d’office, sous réserve que la victime, lorsqu’elle est identifiée, ait été avertie et qu’elle ne s’y soit pas opposée.

Enfin, la loi du 18 novembre 2016 a mis en place de l’action de groupe en matière de discriminations. Les demandeurs à l’action ne sont pas les victimes proprement dites mais une organisation syndicale ou une association. Les victimes de la discrimination conservent leur droit d’agir individuellement devant le conseil des prud’hommes.

En droit pénal, les discriminations sont visées aux articles 225-1 et 225-1-2 du Code pénal. Mais elles ne deviennent une infraction que si elles sont commises à l’occasion de l’un des comportements énoncés à l’article 225-2 du même code. Il s’agit de « refuser d’embaucher une personne, sanctionner ou licencier une personne » ou encore de « subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation à une condition fondée sur l’un des éléments » visés aux articles 225-1, 225-1-1 et 225-1-2 du Code pénal ou 412-8 du CSS. Les discriminations sont passibles d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 euros. A ces peines principales s’ajoutent des peines complémentaires (exemple : l’affichage de la condamnation).

La preuve d’une discrimination ?

Au civil, il est parfois difficile pour le salarié qui s’estime discriminé d’en apporter la preuve. Par conséquent il revient au salarié de présenter  des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination.

Au vu des éléments produits par le salarié, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles

En revanche, au pénal il appartient au salarié d’établir l’existence d’une discrimination et son caractère intentionnel.

1. LOI n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droitcommunautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations - Article 1  https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018877783/
2. 4ème baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/dossier-de-presse/2021/12/14e-barometre-sur-la-perception-des-discriminations-dans-lemploi
3. Articles du Code pénal 225-1 à 225-4 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006165298/
4. Décision de la Cour exposant les règles de preuve : Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-21.646. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043352348?page=1&pageSize=10&query=19-21646&searchField=NUM_AFFAIRE&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=juri&typePagination=DEFAULT
5. Défenseur des droits  https://youtu.be/2o1mzYh_Tlk
6. Dénoncer une discrimination n’est pas un motif de licenciement… sauf mauvaise foi. Cass. soc. 13-1-2021 n° 19-21.138 F-PB
7. Licenciement pour port de la barbe = discrimination = licenciement nul Cass., soc., 8 juill. 2020, n°18-23.743
8. Discrimination en raison du sexe (Cass. soc, 14-10-20, n°18-26830).
 Le licenciement survenant quelques jours après l’annonce d’un état de burn out laisse supposer une discrimination en raison de l’état de santé : Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 mars 2013, 11-22.082) (Cass. Soc, 5 février 2020, n°18-22.399)