Balades en expertise comptable :
Lanceur d’alerte

Actu Droit août 2022

Lanceur d’alerte... Décryptés par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod.

#LoiWaserman #Statut #Entreprise #Procédure

1. / Lanceur d’alerte : origine

Il s’agit d’un concept qui nous vient des Etats-Unis. Dans ce pays, il a été introduit dans une loi de 2002. Cette loi fait obligation aux sociétés cotées de mettre en place un système d’alerte des comportements portant atteinte à l’intérêt général.

2. / Une loi similaire en France 

En France, la situation est complexe. Il a d’abord existé des dispositifs spécifiques concernant, par exemple, la maltraitance ou bien encore la corruption. A un moment donné six dispositifs coexistaient, en règle générale peu utilisés. Puis, en 2016, nous avons adopté la loi Sapin II, soit la première loi uniforme. Cette loi présentait de nombreux défauts. D’où la loi Waserman en date du 21 mars 2022 et qui entre en vigueur le 1er septembre de cette année.

3. / La définition du lanceur d’alerte en droit français

La définition du lanceur d’alerte est donnée à l’article 1er de la loi Waserman. A lire ce texte, on distingue deux points saillants.
D’abord, elle exige du lanceur d’alerte une certaine éthique, facilement compréhensible dans une société où le tribunal médiatique ruine une carrière, une entreprise, rapidement et sous le coup de l’émotion. Aussi la loi exige-t-elle de la personne physique, lanceuse d’alerte, qu’elle signale ou divulgue « sans contrepartie financière directe et de bonne foi ».
Enfin, il ne s’agit pas de divulguer ou de signaler n’importe quoi. Le signalement doit concerner la défense de l’intérêt général. Le même article premier pose que les faits signalés portent sur « un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général ». A la lecture du même article, on constate que le signalement peut aussi porter sur « une violation ou une tentative de dissimulation d’un engagement international de la France ».

4. / L’obtention du statut de lanceur d’alerte 

L’obtention du statut de lanceur d’alerte suppose de respecter la procédure prévue par la loi Waserman. On distinguera deux cas.
Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la loi n’oblige pas à mettre en place une procédure de recueil des signalements. En pratique, le signalement s’effectuera auprès du supérieur hiérarchique ou d’un référent ad hoc.
Les entreprises d’au moins 50 salariés doivent mettre en place une procédure interne de recueil et de signalement des infractions. Une consultation du Comité social et économique est nécessaire avant la mise en place de cette procédure. Un décret en Conseil d’Etat devrait, ultérieurement, préciser les garanties d’indépendance et d’impartialité de la procédure ainsi que les délais de retour de l’information auprès du signalant.

5. / Les procédures qui permettent d’éviter l’enlisement de la procédure

Il existe deux autres procédures qui devraient permettre de porter les affaires les plus sérieuses à la connaissance du public. Il s’agit de l’alerte externe et de l’alerte publique.
L’alerte externe. Le lanceur d’alerte peut recourir à ce mode dans deux cas : soit après avoir effectué un signalement interne qui n’entraîne aucun changement ou qui s’enlise ; soit directement. Dans ce cas l’affaire ne va pas être rendue publique.
Seules certaines personnes vont être informées. La loi de 2022 a dressé une liste exhaustive de ces personnes : le Défenseur des droits, l’autorité judiciaire, une institution, un organe ou un organisme de l’UE compétent ou enfin une autorité compétente en matière d’alerte, par exemple la Commission nationale déontologie et alertes en santé publique et environnement (CnDAspe). On attend des précisions du décret en Conseil d’Etat qui devra préciser les garanties d’impartialité et d’indépendance et de délais de retour applicable à ce canal externe.
Le lanceur d’alerte peut choisir ce canal externe, notamment s’il lui apparait que l’entreprise cherche à entraver son signalement ou la menace. En effet, le recours au canal externe permet d’obtenir un soutien psychologique et un secours financier temporaire en cas de dégradation de la situation financière du lanceur d’alerte, par exemple lors d’une mise à pied sans rémunération.
L’alerte publique. L’alerte est un droit difficile à exercer. Il faut de la connaissance, de la raison et de la détermination.
D’abord, il faut de la connaissance : connaissance de ce que l’on peut légitimement signaler, connaissance des procédures relatives aux lanceurs d’alerte. Ensuite, il faut de la raison : ne pas confondre un différend avec l’entreprise de la nécessaire protection de l’intérêt général. Enfin, il faut de la détermination car de nombreuses entreprises n’hésiteront pas à utiliser des procédures bâillon. En conséquence, l’alerte publique ne peut être utilisée que dans des cas particuliers, par exemple l’absence de traitement suite à un signalement interne, un danger grave et imminent, une saisine de l’autorité compétente faisant courir un risque de représailles au lanceur d’alerte, une dissimulation de preuve.

6. / L’aide et la protection du lanceur d’alerte

Le risque principal couru par le lanceur d’alerte ce sont les mesures de représailles. Elles peuvent être brutales : le licenciement pour perte de confiance. Elles peuvent être insidieuses : le changement des horaires.
Dans tous ces cas la loi pose que celui qui a signalé ou divulgué une alerte, en respectant les prescriptions légales, ne peut pas être sanctionné. Toutes les mesures visant à sanctionner le salarié sont frappées de nullité.
La loi facilite sa défense en posant qu’il lui suffira de présenter des éléments de fait permettant de supposer qu’il a signalé, conformément aux règles en vigueur. En revanche, l’employeur devra « prouver que sa décision est dûment justifiée ». Le juge pourra ordonner, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction utiles à la manifestation de la vérité.

Conclusion

Incontestablement la loi présente de réelles avancées, notamment en ce qui concerne les frais d’instance et l’immunité civile et pénale
Les frais d’instance. Dès que le lanceur d’alerte se découvre, il peut faire l’objet de mesures d’intimidation, notamment à effets financiers. C’est pourquoi la loi Waserman permet-elle au juge d’allouer une aide financière, une provision, au lanceur d’alerte. Cette provision est financée par l’autre partie. Le juge peut rendre la provision définitive même si le lanceur d’alerte perd son procès.
L’immunité civile et pénale. La responsabilité civile et pénale du lanceur d’alerte ne pourra pas être mise en cause pour les faits signalés à condition, bien évidemment, que la divulgation se fasse en respectant les cadres de la loi.
Il reste que le lancement de l’alerte reste une épreuve à hauts risques, notamment psychologiques.