Balades en expertise comptable :
Le DMA (Digital Market Act)...

Actu Droit avril 2024

Décryptée par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod.

#DMA #TikTok #GAFAM

Le DMA (Digital Market Act)

Qu’est-ce que le DMA ?

Le DMA c’est le Digital Market Act.  C’est un règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur du numérique.
Il s’applique notamment aux plateformes numériques, comme les GAFAM américains, par exemple Google ou Facebook ainsi qu’au chinois TikTok.
Il a été adopté le 14 septembre 2022 et s’applique graduellement depuis le 2 mai 2023.

Marché contestable.

On dit qu’un marché est contestable quand il valide deux conditions la liberté d’entrée et, surtout, la liberté de sortie. Mais, les autorités communautaires ont des doutes sur la contestabilité des marchés du numérique.
Les plateformes jouent un rôle crucial dans l’économie. Souvent elles sont « biface » et permettent d’atteindre de nombreux fournisseurs de biens et services et de nombreux consommateurs. Il s’ensuit pour les uns comme pour les autres un véritable effet de dépendance.
Récemment aux Etats-Unis Google a décidé de modifier l’algorithme qui alimente son moteur de recherche. Cette modification a entraîné le déclassement de plusieurs sites internet. Certains ont vu leur trafic baisser de 30%.
Par ailleurs, les plateformes sont également la source d’économies d’échelles qui résultent de coûts marginaux presque nuls pour ajouter un utilisateur.

Plateformes numériques et droit de la concurrence

Les articles 101 et 102 TFUE qui traitent des ententes et des abus de position dominante s’appliquent aux « contrôleurs d’accès » (« gatekeepers ») donc aux plateformes numériques. Mais on peut douter de leur efficacité.
Ces dispositifs interviennent « ex post », i.e. bien après l’entente ou l’abus de position dominante. Leur mise en œuvre se fait au cas par cas. Elle est complexe. Les procédures durent de nombreuses années. Les comportements sont parfois difficiles à caractériser. Tout ceci milite pour un changement de paradigme et le DMA incarne ce changement.
Il peut se résumer en 2 idées essentielles. La directive DMA identifie des contrôleurs d’accès (1ère idée) à qui elle impose toute une série d’obligations (2me idée).

Les contrôleurs d’accès

Les contrôleurs d’accès (« gatekeepers ») sont des entreprises fournissant des services de plateforme essentiels.
L’article 2 § 2 de la directive en distingue 10. Citons à titre d’illustrations :

  • Un moteur de recherche en ligne, par exemple Google
  • Un service de plateforme de partage de vidéos, par exemple YouTube
  • Un service de réseaux sociaux en ligne, par exemple X (ex Twitter)
  • Un navigateur internet, par exemple Firefox.

Pour relever du DMA, le contrôleur d’accès doit valider certaines conditions. A cette fin, l’article 3 § 1 prévoit des règles de désignation des contrôleurs d’accès à partir de 3 critères additifs qui sont :

  • Un poids important sur le marché intérieur ;
  • La fourniture d’un service de plateforme essentiel ;
  • Et une position solide et durable dans ses activités.

Le critère du poids important

Une entreprise sera présumée avoir un poids important si son CA dans l’Union est supérieur ou égal à 7,5 milliards d’€ réalisé au cours de chacun des 3 derniers exercices ou si sa capitalisation boursière moyenne ou sa juste valeur marchande était d’au moins 75 milliards d’€ au cours du dernier exercice
A ces 3 critères alternatifs, il faut ajouter que l’entreprise doit fournir le même service de plateforme essentiel dans au moins 3 Etats membres.

Le critère de la fourniture d’un service de plateforme essentiel.

Ce service de plateforme essentiel doit compter :

  • Au moins 45 millions d’utilisateurs finaux actifs par mois dans l’Union
  • Et au moins 10 000 entreprises actives par an toujours dans l’Union

Ce critère va poser de redoutables problèmes de comptage. Par exemple, si nous prenons l’exemple d’Uber on sait qu’en France, il y a plus de 30 000 chauffeurs mais les données concernant le nombre d’utilisateurs en Europe ne sont pas facilement accessibles. De plus que faut-il entendre par « utilisateurs finaux actifs » ?

Le critère de la position solide

L’entreprise doit jouir d’une position solide, maintenant ou à court terme, dans ses activités. En pratique, les critères relatifs au nombre d’utilisateurs finaux (45 millions par mois) et d’entreprises actives (10 000 par an) ont été atteints au cours des trois derniers exercices.

Déclaration auprès de la Commission européenne

Dès que ces trois critères sont validés, l’entreprise doit spontanément se déclarer auprès de la Commission européenne. Celle-ci a un délai pour conférer à l’entreprise en question le statut de « contrôleur d’accès ».
Si l’entreprise ne se déclare pas, la Commission peut lui adresser une demande de renseignements. Si cette dernière n’est pas suivie d’effets, la Commission peut prononcer une amende. Le taux maximum est de 1% et s’applique au CA mondial de l’entreprise.


Les obligations des entreprises

Le DMA nous appréhende en tant que consommateur et par là même protège notre vie privée, notamment en encadrant le profilage des consommateurs. 
Le profilage des consommateurs est une méthode de marketing qui consiste à mieux connaître le consommateur et les ressorts de sa décision d’achat.
A cette fin, les entreprises collectent et analysent les traces c’est-à-dire les données que nous laissons chaque fois que nous nous connectons.
Par rapport au profilage, le DMA pose que, dans les 6 mois de sa désignation, le contrôleur d’accès fait réaliser un audit indépendant décrivant toutes les techniques de profilage qu’il utilise. Cet audit est destiné au comité européen de la protection des données. Un aperçu de cet audit est mis à la disposition du public.
Par ailleurs, le DMA comporte des dispositions qui sont destinées à favoriser le libre choix des utilisateurs.
Par exemple, l’article 5 § 3 interdit aux contrôleurs d’accès d’empêcher les entreprises utilisatrices de ces services de proposer leurs propres services via d’autres canaux. Concrètement, une entreprise qui propose un service de streaming musical sur l’App Store doit pouvoir proposer le même service sur un autre canal.
Le même article 5 oblige les contrôleurs d’accès à laisser aux consommateurs la possibilité d’acheter des abonnements en dehors des services de plateforme essentiels.
Enfin, le DMA interdit de pratiquer l’usage lié. Par exemple, s’abonner à un site de partage de vidéo pour pourvoir utiliser une messagerie en ligne.
L’article 6 § 12 du DMA pose que « les contrôleurs d’accès appliquent aux entreprises utilisatrices des conditions générales d’accès équitables, raisonnables et non discriminatoires ».
 Il existe dans le Code civil français de nombreuses dispositions, particulièrement, en droit des contrats qui peuvent être utilisées dans la négociation avec les « gatekeepers ».

 

Bibliographie

- Règlement (UE) 2022-1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques)
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32022R1925
-Le règlement DMA encadrant les pratiques des géants du numérique est bientôt applicable ; J-M Cot, BRDA 4/2023
- Le Digital Market Act (DMA) ou l’équité au pays de la conformité ; R. Pons et C. Castets-Renard, La Semaine Juridique, édition générale, n° 47, novembre 2022, doctr.1344