Balades en expertise comptable :
Le plan de vigilance...

Actu Droit mars 2024

Décrypté par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod.

#RanPlaza #ObligationDeVigilance #ResponsabilitéCivile

Le plan de vigilance

Certaines entreprises sont astreintes à l’obligation d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Ce plan a pour but d’identifier et de prévenir les risques d’atteintes graves concernant, notamment, les droits humains, la santé et l’environnement.
De ce point de vue, par exemple employer des personnes sans papier induit de nombreux problèmes, notamment de soumettre ces personnes à des conditions de travail indignes.

La naissance de l’obligation de vigilance

De nombreux textes, internationaux notamment, ont formalisé un cadre de référence visant à la protection des droits de l’homme, des droits sociaux et de l’environnement. Citons par exemple, les Principes directeurs de l’OCDE, l’organisation de coopération et de développement économique, qui proclament, dès 1976, que les entreprises doivent respecter les droits de l’homme. Dans le même sens, on peut encore mentionner le Pacte mondial des Nations Unies, adopté en juillet 2000. Le problème de ces textes c’est leur caractère non contraignant.
Mais la question a été renouvelée avec l’affaire du Rana Plaza.

L’affaire du Rana plaza

Le Rana Plaza était un immeuble situé au Bangladesh qui abritait de trop nombreuses personnes. Le 24 avril 2013, l’immeuble s’est effondré. 1129 personnes sont mortes. 2500 ont été blessées. Dans les ruines de l’immeuble de nombreuses étiquettes de marques de prêt-à-porter françaises et étrangères ont été retrouvées. Les donneurs d’ordre ont été mis en cause. L’affaire s’est soldée, comme souvent en France, par un texte nouveau : la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

Les entreprises assujetties à la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017

Ce texte concerne les grandes entreprises, sous la forme SA ou SCA. Par ailleurs, ces entreprises doivent valider des critères en termes d’effectifs.

Les critères de l’assujettissement

La société doit employer

  • Au moins 5 000 salariés en son sein et dans ses filiales dont le siège social est situé en France
  • OU au moins 10 000 salariés en son sein et dans ses filiales dont le siège social est situé en France ou à l’étranger.
    L’effectif doit être validé au cours de deux exercices successifs.

Les informations du plan de vigilance

Le plan doit contenir :

  • Une cartographie des risques afin de les identifier, de les analyser et de les hiérarchiser ;
  • Des procédures d’évaluation régulières des filiales, des sous-traitants et fournisseurs avec lesquels l’entreprise entretient une relation commerciale établie ;
  • Des actions d’atténuations ou de prévention des risques graves ;
  • Un mécanisme d’alerte et de signalement des risques ;
  • Un dispositif de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvre.
    Ajoutons que ce plan et le compte rendu de sa mise en œuvre sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion.

Le rôle les partenaires sociaux dans l’élaboration du plan de vigilance

Le Code de commerce pose que le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société. Pour la détermination de ces parties prenantes, il convient de se référer aux référentiels internationaux de la RSE, en particulier à la GRI (Global Reporting Initiative) qui considère que les salariés et leurs syndicats sont des parties prenantes.

En pratique, le plan de vigilance doit être « établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives de ladite société ».

Les sanctions du plan de vigilance

A l’origine, le texte prévoyait un mécanisme d’amende assez dissuasif car le montant s’établissait à 10 millions d’euros. Ce montant pouvait même être multiplié par 3 en fonction de la gravité et des circonstances du manquement. Toutefois, ce dispositif a été sanctionné par le Conseil constitutionnel en 2017.

Il reste que la loi de 2017 est assortie de sanctions pour les entreprises qui ne satisfont pas à leur obligation de l’établir. Dans ce cas, il convient de mettre l’entreprise en demeure d’établir ce plan. Si l’entreprise ne satisfait pas à cette obligation, dans un délai de 3 mois, toute personne ayant un intérêt à agir peut saisir la juridiction compétente. En l’occurrence, le tribunal judiciaire de Paris. Celui-ci va enjoindre, éventuellement sous astreinte, à l’entreprise de l’établir.
Le 6 décembre 2023, le tribunal judicaire de Paris a enjoint à La Poste de compléter son plan de vigilance sous une astreinte de 50 000€ par jour de retard et de procéder à la mise en œuvre effective des mesures associées.

Violation de l’obligation de vigilance et responsabilité civile

Le manquement à l’obligation de vigilance engage la responsabilité de son auteur sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Elle l’oblige à réparer le préjudice que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter.

A notre connaissance, il n’y a pas de concrétisation de la mise en œuvre de cette sanction. Diverses associations, des collectivités territoriales françaises et la ville de New-York avaient assigné Total Energies sur le fondement de la loi relative au plan de vigilance. Les requérants souhaitaient contraindre l’entreprise à publier un plan de vigilance prenant en compte la contribution de cette société aux risques induits par le réchauffement climatique. Par ailleurs, les demandeurs souhaitaient mettre en cause la responsabilité écologique de l’entreprise. Ces demandes ont été rejetées.
Les juges ont considéré que les demandeurs étaient dépourvus d’intérêt à agir. De plus, ils ont observé que les conditions de la mise en œuvre de la loi de 2017 n’avaient pas été respectées. Cette loi prévoit qu’en cas d’insuffisance du plan de vigilance, un dialogue doit s’ouvrir entre les parties prenantes. Or, en l’espèce tel n’avait pas été le cas.

Toutefois, certains commentateurs ont considéré que ces textes avaient été interprétés restrictivement. Le temps de l’effectivité pleine et entière de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des donneuses d’ordre n’est pas encore à l’ordre du jour. L’effectivité viendra peut-être de la directive communautaire sur le devoir de vigilance des grandes entreprises. Elle comporte un volet sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 5% du CA net.

Art. 225-102-4 du Code de commerce

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043978824/2024-12-31/

L. 225-102-5 code de commerce

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000034291364/

Décision du conseil constitutionnel n° 2017-750 DC du 23 mars 2017

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2017/2017750DC.htm

Décision du tribunal judiciaire de Paris 5 décembre 2023, Sud PTT c/ La Poste

https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2023/12/21-15827.pdf

Réaction de La Poste

https://www.lapostegroupe.com/fr/actualite/devoir-de-vigilance--reaction-de-la-poste