Balades en expertise comptable :
Les pertes excessives après la loi du 9 mars 2023 ...

Actu Droit novembre 2023

Décrypté par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod.

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Les pertes excessives après la loi du 9 mars 2023 

Capital social

Le capital social est constitué des apports des associés. Apport en numéraire (en argent) et en nature (en biens). C’est un chiffre abstrait, fixe – en principe le capital social est intangible – qui n’exprime pas véritablement la richesse de la société.

Rôle

Le capital social est le gage des créanciers sociaux.

Quand un créancier conclut un contrat avec une société à risques limités – SARL et sociétés par actions - il peut se poser la question de savoir s’il sera payé. Et, s’il ne l’est pas, sur quelles garanties peut-il compter. Le capital social le renseigne sur les sommes d’argent disponibles.

L’expression – le capital social est le gage des créanciers sociaux – est inexacte. D’ailleurs, on voit mal comment un passif (le capital social) pourrait constituer un gage, donc une sûreté réelle qui, forcément, est afférente à un actif.

Utilité de la notion

Parce qu’elle permet d’illustrer de façon percutante l’une des fonctions du capital social : la fonction de garantie.

Le capital social permet de bloquer à l’actif les valeurs que les associés affectent au paiement des créanciers.

En portant à la connaissance du créancier de la société le montant du capital social, ce dernier sait qu’il pourra saisir les actifs de la société, en cas d’impayé, jusqu’à une certaine limite, à savoir le montant de ce capital social.

Le capital social ne traduit pas la richesse de la société.

Pour connaître la richesse de la société, il faut introduire la notion de capitaux propres.

Les capitaux propres

Les capitaux propres correspondent aux fonds apportés par les associés ou actionnaires lors de la création de la société auxquels s’ajoutent les fonds générés par son activité. A suivre le Code de commerce (R. 123-191), on dira que les capitaux propres sont égaux à la somme algébrique

  •  des apports ;
  • des écarts de réévaluation ;
  • des bénéfices autres que ceux pour lesquels une décision de distribution est intervenue ;
  •  des pertes
  • des subventions d’investissement ;
  • et des provisions réglementées. 

Relations capital social et capitaux propres

En paraphrasant une doctrine célèbre (R. Mortier) on pourrait dire le « capital social permet de jauger les capitaux propres ».

En rapprochant les capitaux propres du capital social, on sait si la société est bénéficiaire ou déficitaire.

Si les capitaux propres excèdent le capital social, la société est bénéficiaire.

Dans le cas inverse, elle est déficitaire.

La notion de capitaux propres est beaucoup plus fondamentale que celle de capital social.

Mais, le problème est que cette notion est changeante alors que le capital est une notion fixe.

Le capital social : une notion à risques

Cette notion recèle un risque : celui d’une mauvaise appréciation d’un créancier de la société. C’est pourquoi il existe un principe de sincérité du capital social, notion symétrique à celle d’image fidèle en droit comptable.

 La sincérité du capital social 

Elle règlemente les pertes excessives, c’est-à-dire les pertes trop importantes.

Les pertes excessives 

Dans les sociétés à risques limités il doit exister une corrélation entre les capitaux propres et le capital social. Par exemple, lors de la constitution de la société, les montants des capitaux propres et du capital social coïncident. Ultérieurement, va apparaître un décrochage.

Positif : la société fait des bénéfices et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Négatif : la société fait des pertes.

Le problème va changer de nature quand les capitaux propres vont devenir inférieurs à la moitié du capital social. A partir de ce moment, la loi oblige les associés à réagir.

La réaction des associés

La loi leur offre une palette de solutions plus ou moins radicales. La première solution c’est la mise à mort, en clair la dissolution.

Par ailleurs, la loi du 9 mars 2023 offre aux associés deux autres solutions : soit reconstituer les capitaux propres – par exemple en augmentant le capital social -, soit réduire le capital social, sous réserve de respecter le capital minimum de 37 000€ tant pour les SA que les SCA.

Comment choisir ?

Tout dépendra des ressources des associés. Toutefois, les deux procédés – reconstitution des capitaux propres et réduction du capital social - sont équivalents. Par ailleurs, ils visent au même but, savoir que les capitaux propres soient au moins égaux à la moitié du capital social.

Délais pour agir

Les opérations de reconstitution des capitaux propres ou de réduction du capital social doivent être réalisées au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue. Par exemple, si la constatation est intervenue en 2023, la société a les exercices 2024 et 2025 pour reconstituer ses capitaux propres ou réduire son capital social.

Le non-respect du dispositif

La loi de 2023 offre une faculté nouvelle afin que le principe de sincérité du capital social soit respecté. Cette faculté a été qualifiée de « mise à plat » du capital (R. Mortier). Le dispositif suppose la réunion de deux conditions.

La première concerne l’atteinte à la sincérité du capital social. En pratique, le montant des capitaux propres est toujours inférieur à la moitié du capital social.
La deuxième concerne le capital social. En clair, il est inférieur à un seuil fixé par décret.

Sanction

La société devra réduire son capital à une valeur inférieure ou égale au seuil. Si elle ne le fait pas, tout intéressé pourra en demander la dissolution.

Bibliographie

  • Pertes excessives : la réforme maladroite du dispositif légal de régularisation

Ed. Schlumberger ; Bulletin Joly Sociétés, octobre 2023, p.55 s.

  • La réforme du régime légal des pertes excessives

R Mortier ; Revue des sociétés 2023, p. 343 s.

  • Loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture

https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047281777