Balades en expertise comptable :
Loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle

Actu Droit août 2022

Loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle... Décryptés par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod.

#Patrimoine #Entrepreneur #EIRL

1./ L’objectif de la loi du 14 février 2022 

Cette loi entend favoriser le développement de l’activité professionnelle indépendante. Elle part de l’idée que l’entreprise est une activité à risques et que les interventions passées du législateur n’ont pas réussi à sécuriser le patrimoine de l’entrepreneur.

2./ La sécurisation du patrimoine de l’entrepreneur individuel 

Tout provient de notre conception du patrimoine. En France, le patrimoine - qui est l’aptitude d’une personne à avoir des droits et des obligations à caractère pécuniaire - est fortement marqué par les travaux d’Aubry et Rau. Ces auteurs et praticiens du droit du XIX siècle, concevaient le patrimoine comme une émanation de la personne. En quelque sorte le patrimoine c’était l’ombre de la personne. Ils en déduisaient quelques caractères qui ont longtemps imprégné et imprègnent encore notre théorie du patrimoine.

3./ Les caractères du patrimoine selon la conception d’Aubry et Rau 

Elle se distingue par trois caractères. D’abord, seules les personnes peuvent avoir un patrimoine. Ensuite, toute personne a un patrimoine mais toute personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine n’eût-elle rien dedans, n’eût-elle que des dettes. Enfin, comme disait Carbonnier, célèbre juriste du XX me siècle, « la relation de la personne avec son propre patrimoine ne s’exprime pas dans un droit sur le patrimoinei ». Et il ajoutait, « on peut bien dire que l’individu est titulaire de son patrimoine mais on ne peut pas dire qu’il en est le propriétaire puisque le patrimoine en un sens c’est lui-mêmeii ».

4./ La nécessaire protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel

L’entreprise est une activité à risque. Le risque peut conduire à la défaillance et donc à la liquidation judiciaire. La liquidation judiciaire conduit à la ruine de l’entrepreneur car tous ses biens et toutes ses dettes sont logés dans un même et unique contenant : le patrimoine.

5./ Les textes organisant la protection de l’entrepreneur

De nombreux textes jalonnent la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel. En se limitant à l’essentiel, on peut signaler les lois suivantes.

En 1985, le législateur a créé l’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) et son pendant agricole : l’EARL (entreprise agricole à responsabilité limitée). Par ce texte, il a permis à l’entrepreneur de créer une structure sociétaire et donc de distinguer le patrimoine de l’associé, du patrimoine de la société. Le succès de l’EURL est mitigé. Créer une EURL engage dans les voies du droit des sociétés et pour de nombreuses personnes ces voies paraissent complexes.
Ensuite, le législateur a pris conscience que l’élément central du patrimoine de nombreux français était leur domicile. Comme l’entreprise est une activité à risques, ceux-ci peuvent se traduire par la perte du logement familial. En 2003, le législateur a permis que l’entrepreneur individuel déclare ses biens fonciers non professionnels (en clair, sa résidence principale) insaisissables. En 2015, la résidence principale est devenue insaisissable de droit.

Entre 2003 et 2015, une nouvelle réforme est intervenue qui a donné naissance à l’EIRL, l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Cette réforme permettait de créer un patrimoine d’affectation. En pratique, l’entrepreneur se trouvait à la tête de deux patrimoines : un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel. Il pouvait même se trouvait à la tête de plusieurs patrimoines professionnels s’il souhaitait développer plusieurs activités.

6./ L’EIRL, une structure déceptive

En juin 2021, et selon l’étude d’impact de la loi relative à l’activité professionnelle, on dénombrait moins de 100 000 EIRL. Les raisons de l’échec sont nombreuses. Citons, la complexité. Le cordon sanitaire entre les patrimoines professionnel et personnel des entrepreneurs était loin d’être absolu. Par ailleurs, l’EIRL étant une entreprise individuelle, elle en conservait toutes les insuffisances, notamment l’impossibilité d’association, même de la part de proches de l’entrepreneur. Par exemple, quand un membre de la famille voulait aider le chef d’entreprise financièrement, la seule solution c’était le prêt. Enfin, quand un entrepreneur désirait s’installer, la loi Pacte (22 mai 2019) prévoyait qu’il choisisse entre l’entreprise individuelle et l’EIRL.

7./ L’EIRL : disparition ou extinction ?

La loi du 14 février 2022 crée une nouvelle protection pour l’entrepreneur individuel. Cette nouvelle protection a vocation à remplacer l’EIRL. Celle-ci subsiste jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi, soit le 15 mai 2022. Les EIRL constituées avant cette date, pourront continuer leur activité. En revanche, à compter du 15 mai 2022 il ne sera plus possible d’en créer. Subsisteront également l’insaisissabilité de droit de la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité des biens fonciers non affectés à l’activité professionnelle.

8./ Caractéristiques de la loi nouvelle

La loi nouvelle donne une définition de l’entrepreneur individuel. Cette définition figure à l’article L. 526 – 22, al. 1er du Code de commerce. Elle pose que « l’entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes ». La définition ne présente pas d’originalité particulière. Elle repose sur 3 concepts.

D’abord, l’entrepreneur individuel est une personne physique, ce qui permet de le distinguer de l’associé qui peut être, à la fois, une personne physique mais aussi une personne morale.

Ensuite, cette personne physique exerce l’activité pour elle-même ; autrement dit, elle travaille pour son propre compte, ce qui permet de la distinguer, notamment, du salarié qui travaille pour le compte d’autrui.

Enfin, le troisième élément de la définition est consacré à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel. De ce point de vue l’article L. 526 – 22 al. 1 du Code de commerce pose qu’il peut exercer une ou plusieurs activités. Il y a là une grande différence, peut-être une régression, par rapport à la loi relative à l’EIRL. L’entrepreneur individuel sous EIRL pouvait exercer plusieurs activités. Chaque activité pouvait être abritée dans une EIRL. Avec la loi du 14 février 2022 cette faculté est supprimée. Peut-être faut-il voir là une volonté du législateur de renforcer la capacité de l’entrepreneur individuel à obtenir plus de crédit. Il peut donner, à titre de garantie, de plus nombreux biens, ce qui renforce la confiance du banquier et donc le crédit de l’entrepreneur individuel.

9./ Les autres innovations de la loi du 14 février 2022

La loi du 14 février 2022 est une illustration de la théorie du patrimoine d’affectation.
L’innovation principale, c’est la création automatique et sans formalités de ce patrimoine. L’entrepreneur va disposer de deux patrimoines aux termes de l’article L. 526 – 22, al. 2 du Code de commerce qui distingue un patrimoine professionnel et un patrimoine personnel.

Le patrimoine professionnel est composé des biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son ou ses activités professionnelles.

Deux critères vont permettre d’identifier les éléments du patrimoine professionnel : le critère de la titularité et celui de l’utilité.

10./ La notion de titularité

Le dictionnaire Cornu définit la titularité comme « la jouissance d’un droitiii ». Et le titulaire comme « le détenteur en nom (en titre), investi en personne [et] désigné (par la loi, le contrat, etc.) comme sujet actif d’un droitiv ». Cette notion de titularité est plus vaste que la notion de propriété. Par exemple, l’entrepreneur individuel jouit d’un bien dont il est propriétaire mais aussi du local dont il n’est pas propriétaire mais dont la jouissance lui a été octroyée par contrat.

11./ La notion d’utilité

Il semble poser moins de problème. Par utilité il faut entendre que l’élément sert à la réalisation de l’activité professionnelle.
Ces deux critères, permettront, par exemple lors d’une saisie diligentée suite à un impayé professionnel, de déterminer si le bien en question peut ou ne peut pas être saisi. A priori tout ceci est source future de conflit.

12./ Le patrimoine personnel ?

A la lecture de l’article L. 526 – 22, al 2 on constate que le patrimoine personnel est un reste. En clair, tous les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur sera titulaire mais qui ne seront pas utiles à l’activité professionnelle, relèveront du patrimoine personnel.

i Droit civil, tome 3, les biens, PUF 16me édition, 1995, p 18
ii Droit civil, tome 3, Les Biens, PUF, 16me édition, 1995, p 18
iii Vocabulaire juridique, 13 me édition, PUF, 2020
iv Vocabulaire juridique, op cit