Balades en expertise comptable :
Trouble anormal de voisinage loi du 15 avril 2024...
Actu Droit juin 2024
Décryptée par Martine Mariage et Jean-François Bocquillon, professeur en classes préparatoires à l’expertise comptable et coauteurs des manuels DCG 1 à 3 « Expert Sup » Dunod.
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Trouble anormal de voisinage loi du 15 avril 2024
Un nouveau texte de loi publiée le 15 avril 2024 vise à créer les conditions d’un "vivre ensemble" équilibré afin de limiter les conflits entre néo-ruraux et paysans, mais aussi les acteurs économiques, culturels et touristiques d’un territoire rural ou non.
Le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage.
La responsabilité pour trouble anormal de voisinage ne résulte pas de la loi, mais d’une création, dite prétorienne, des juges.
Ce principe a été consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation. Dans un arrêt du 19 novembre 1986, elle a posé un principe général du droit selon lequel "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage".
La notion de trouble anormal de voisinage est marquée par une volonté de trouver un juste équilibre entre la nécessité de protéger les voisins de nuisances insupportables et celle de respecter l’exercice du droit de propriété, par exemple permettre aux industries d’exercer leurs activités.
Le régime de responsabilité
Il s’agit d’une responsabilité sans faute.
C’est l’anormalité du trouble qui entraîne la responsabilité de l’auteur, peu importe qu’il n’ait pas voulu nuire à son voisin.
Il faut donc que soit constaté un trouble anormal, s’inscrivant dans un rapport de voisinage,
Le sens donné à « anormal »
L’impact excède un certain seuil de tolérance pour toute personne « normale », ce seuil étant souverainement apprécié par le juge du fond.
Il faut en outre que le trouble causé au voisin présente un caractère continu et permanent, et ce quand bien même le fait serait inhérent à une activité licite et utile pour son auteur,
Ce trouble crée un préjudice, notamment d’agrément, mais aussi économique, moral, esthétique, etc.,
Enfin il faut un lien de causalité entre le trouble et le préjudice.
Le juge dispose donc d’un pouvoir souverain pour apprécier le caractère anormal du trouble.
Le contexte de la loi du 15 avril 2024 : la loi du 29 janvier 2021
La loi du 29 janvier 2021 vise « à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises »
Cette loi modifie l’article L110-1 du Code de l’environnement. Elle a fait des sons et des odeurs qui caractérisent les espaces et milieux naturels, le patrimoine commun de la nation, au même titre que les paysages diurnes et nocturnes, les êtres vivants et la biodiversité.
Par cette loi, au-delà du caractère symbolique de la mesure, les pouvoirs publics essayaient d’anticiper de possibles contentieux qui pourraient naitre du fait de l’installation à la campagne de citoyens citadins.
Ainsi, le bruit et l’odeur font désormais partie du patrimoine commun de la nation.
Les raisons de la loi nouvelle du 15 avril 2024
La loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 vise à limiter les conflits de voisinage et les plaintes de plus en plus nombreuses, tout particulièrement des néo-ruraux contre les agriculteurs.
Ces affaires encombrent les tribunaux qui rendent des jurisprudences diverses et parfois contraires, en fonction du contexte.
Le texte vient d’abord créer un nouvel article 1253 dans le Code civil.
Cet article pose le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage, consacré par la jurisprudence dans le but de de garantir une application homogène sur l’ensemble du territoire national.
L’exception posée par la loi
La loi pose ensuite une exception à ce principe tirée de la théorie de la préoccupation, en introduisant dans le Code civil les conditions d’exception posées actuellement.
Les conditions de l’exception
- le respect de la législation en vigueur,
- une antériorité,
- ainsi que la poursuite de l’activité dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.
La loi renvoie au nouvel article L. 311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime concernant les activités agricoles.
Ce texte exclut également toute responsabilité dans le domaine agricole lorsqu’une activité antérieure s’est poursuivie « dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité ».
L’objectif est de permettre une évolution considérée comme « normale » de l’activité agricole.
Cette évolution devra être appréciée par les juges qui examineront la nature et l’intensité du trouble supposé.
En conclusion, la loi du 15 avril 2024 est venue compléter le dispositif existant. Elle consacre notamment le principe de l’antériorité.
Elle tend en effet à limiter les conflits de voisinage entre les nouveaux habitants d’un territoire et les acteurs, notamment économiques, culturels ou encore touristiques, déjà établis sur ce même territoire.
Cour de cassation, arrêt du 19 novembre 1986
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007017687/
Loi du 29 janvier 2021
Loi n°2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises
Article L110-1 du Code de l’environnement (extrait)
Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, la qualité de l’eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage.
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038845984/
Loi du 15 avril 2024
Loi n° 2024-346 du 15 avril 2024 visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels
Article 1253 du Code civil Version en vigueur depuis le 17 avril 2024
Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.
Sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.
Article L311-1-1du Code rural et de la pêche marine Version en vigueur depuis le 17 avril 2024
La responsabilité prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions, dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ou dans des conditions qui résultent de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements ou sans modification substantielle de leur nature ou de leur intensité.